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Patrimoine 18/01/2022

Héritage : les recettes discutables du Conseil d'Analyse Economique

Au mois de décembre dernier le Conseil d'Analyse Economique (CAE) publiait une note intitulée « repenser l'héritage ». C'était l'occasion pour nous de découvrir cette institution « pluraliste » qui conseille le Premier ministre français. Créée par Lionel Jospin en 1997, elle fait partie du réseau France Stratégie (anciennement Commissariat Général du Plan). Compte tenu du sujet abordé, c'est avec intérêt que nous avons pris connaissance de cette « Note ». Relevons qu'au cours de l'année 2021, un rapport élaboré par Messieurs Tirole et Blanchard avec l'assistance de France Stratégie intitulé : « les Grands défis économiques » abordait dans son chapitre 2 la question de l'imposition des successions. Les principaux contributeurs étaient Dani Rodrik et Stéfanie Stantcheva. A l'époque, certaines préconisations du rapport nous avaient pour le moins surpris. En effet, à côté d'une réflexion générale sur les principes à l'œuvre dans la taxation des transmissions qui nous semblait très intéressante figuraient des propositions concrètes de réforme à court terme telle que la taxation des contrats d'assurance vie dont on ne voyait pas le rapport avec la réflexion de principe, tant elle semblait périphérique du sujet et surtout mal fondée. Le résultat prévisible étant un accroissement de l'impôt sans bénéfice identifié si ce n'est de voir la France conserver son statut de leader européen en matière de prélèvements obligatoires.

Dès la première page de la « Note » nous relevons parmi les auteurs un collaborateur de France Stratégie et pour le CAE : Stéfanie Stantcheva. Il était donc permis d'imaginer que cette étude serait le prolongement du chapitre 2 du rapport Tirole Blanchard et qu'elle nous éclairerait plus avant sur une imposition « optimale » des transmissions en ce début de siècle, les auteurs étant des spécialistes de la notion d'imposition optimale.

Et en effet, la note détaille un peu plus précisément la situation et le rôle de l'héritage en France soulignant le « danger » que représente ce mécanisme au regard du principe fondateur de notre démocratie : « l'égalité des chances ». En cause, les principes de taxation actuels et diverses évolutions démographiques. La « Note » propose donc une réforme en profondeur de la taxation de l'héritage reposant dorénavant sur le flux successoral perçu par l'individu tout au long de sa vie. « Un tel système permettrait d'éliminer les distorsions quant au séquencement des transmissions et de traiter les héritages en ligne directes et indirectes ». Si l'idée de ne plus opérer de distinction pour la taxation en fonction du lien de parenté avec le donateur ou le défunt semble justifiée au regard des relations que les individus  peuvent aujourd'hui nouer, comme par exemple dans le cadre d'une famille recomposée, la critique du séquencement des donations qui découle essentiellement des incitations voulues par le législateur pour que les individus accélèrent la transmission de leur patrimoine par une incitation fiscale ne nous parait pas fondée. Si le coût fiscal est identique que vous transmettiez progressivement ou non votre patrimoine pourquoi payer de l'impôt par anticipation ? Autant attendre le plus tard possible. Cette problématique ne semble pas avoir retenu l'attention de nos spécialistes de l'imposition optimale. De plus, pour l'avoir constaté à de multiples reprises, les transmissions anticipées de patrimoine pour bénéficier d'un traitement fiscal acceptable s'inscrivent dans des cadres non neutres pour les finances de l'Etat, telle qu'une acquisition immobilière (i.e. droits d'enregistrement ou TVA) ou l'achat de biens de consommation (i.e. TVA et impôt sur les bénéfices). Il nous semble donc erroné de laisser entendre que le séquencement ne bénéficie qu'aux contribuables donateurs et donataires et non à la collectivité. Reste bien entendu à évaluer l'équilibre du dispositif pour le déclarer ou non optimum mais probablement pas de le vouer aux gémonies.

Une seconde suggestion des auteurs concerne l'assiette des droits de succession et vise à réduire voire éliminer les principales exemptions ou exonérations dont la justification économique serait limitée (sic) ! Ceci permettrait d'instaurer des taux nominaux plus bas mais réellement progressifs (re sic) ! En titrant, comme s'il s'agissait de la une d'un mauvais magazine « qu'environ 40% du patrimoine transmis échapperait au flux successoral » taxé, la faute aux dispositifs d'exonération, l'appétit de Bercy et des tenants de la confiscation s'en trouve éveillé. On relèvera que pour aboutir à ce pourcentage l'étude se fonde sur des données relatives aux droits de mutation à titre gratuit publiées en 1994, 2001 et 2006 sans tenir compte a priori des nombreuses réformes aggravant le poids de la fiscalité adoptées par le législateur depuis cette dernière date.

La France n'est pas leader européen des prélèvements obligatoires sans raison. Mais après cette introduction aguicheuse et quelques généralités (presque évidentes) précisant que tout ceci profite aux plus riches, la « Note » cible quatre « niches » qu'il conviendrait de supprimer toutes affaires cessantes, en oubliant au passage l'un des postulats des auteurs : l'adoption d'un barème permettant d'instaurer « des taux nominaux plus bas mais réellement progressifs ». La transmission des biens professionnels, les contrats d'assurance vie, le démembrement de propriété et la non-taxation des plus-values latentes forment les quatre propositions. Nous laisserons de côté dans un premier temps la question des biens professionnels pour nous attacher aux trois dernières. 

La fiscalité des contrats d'assurance vie 

Il convient de rappeler qu'entre 2006 et 2021 il y a eu au moins seize réformes du régime des capitaux décès des contrats d'assurance vie et que le taux de 31.25% au-delà de 852 500€ transmis par bénéficiaire n'a rien à envier à une taxation au barème progressif.  Car, ce que semble oublier de prendre en compte les auteurs dans leurs calculs, c'est que les capitaux décès des contrats sont pour partie, mais sans exception notable, soumis aux prélèvements sociaux de 17.2%. Même pour la fraction inférieure à 152 500€ ! Le décès fait l'objet d'une taxation et il n'y a pas d'exonération totale comme le laisse entendre les auteurs. Si l'on ajoute à cela les prélèvements des frais de gestion annuels de l'assureur (1%) avec lesquels celui-ci paye ses salariés, on est bien loin du paradis fiscal dénoncé. On peut ajouter les remarques suivantes, si tant est qu'il ait pu être mis en évidence une anomalie liée au régime fiscal de l'assurance vie : Premièrement, celle-ci, par son statut dérogatoire tant sur le plan civil que fiscal, a permis par le passé et encore aujourd'hui, dans de nombreuses situations, de tempérer une taxation confiscatoire au taux uniforme de 60% notamment pour les transmissions entre des partenaires homosexuels. Deuxièmement, les réformes fiscales de l'assurance vie sont opérées pour les rendre socialement acceptables suivant une logique de « droit acquis ». Cela veut dire que dans le cadre de transmissions actuelles des contrats bénéficiant d'un cadre fiscal avantageux mais révolu se dénouent. Petit à petit et progressivement les réforment fiscales produisent leurs effets et l'écart de fiscalité entre assurance vie et autres actifs se resserre. Il nous parait en tous cas impossible que les études menées et les simulations effectuées par les auteurs aient pu tenir compte de cette complexité. Leur proposition est donc à prendre avec la plus grande réserve.

Le démembrement de propriété

Autre proposition de la « Note », taxer les transmissions avec réserve d'usufruit sur la valeur en pleine propriété des biens en faisant abstraction de cette servitude. « L'avantage fiscal vient du fait que le montant des droits de mutation est établi à partir de la valeur de la nue-propriété qui est considérée comme plus faible que la valeur de la propriété entière ». S'il y avait une occasion pour les auteurs de jeter le doute sur l'objectivité de leur étude, ils n'auraient pas pu trouver meilleure proposition ! Sur le principe, considérer que des droits différents doivent être évalués pour la même valeur est déjà en soi absurde, mais surtout, cette proposition illustre à quel point ils n'ont pas saisi la logique existante qui, loin d'être une exonération, n'est que la traduction du principe de non double imposition. En effet, si la valeur de la nue-propriété est égale à une fraction de la valeur de la propriété entière c'est pour tenir compte du fait que l'usufruitier sa vie durant, va percevoir les revenus des biens dont il a l'usufruit. Il devra s'acquitter sauf rares exceptions de l'impôt sur le revenu sur les dits fruits et à son décès, son patrimoine dont la valeur aura augmenté des fruits perçus sera taxable aux droits de succession. La taxation s'opère donc en deux temps une fois lors de la transmission de la nue-propriété, une seconde fois lors de la transmission du patrimoine de l'usufruitier qui s'est accru des fruits perçus. C'est pour éviter une double taxation que le code général des impôts précise qu'il n'y a pas lieu de comptabiliser une seconde fois la valeur de l'usufruit. C'est donc une double imposition que nous suggèrent les auteurs de la « Note » qui, rappelons-le, ont la charge de conseiller le Premier Ministre français. Nous avons du mal à cacher notre désappointement.

L'effacement des plus-values latentes

Troisième suggestion : taxer les plus-values latentes lors d'une transmission. Il s'agit là encore d'une proposition pour le moins surprenante. Notre fiscalité personnelle est ainsi conçue qu'une plus-value n'est due que si le contribuable s'enrichit. A contrario lorsqu'il s'appauvrit à titre gratuit, il est conceptuellement difficile d'imaginer une taxation qui est censée frapper un enrichissement. Il ne faut pas croire pour autant que le système n'est pas empreint d'un certain équilibre car celui qui reçoit et s'enrichit à cette occasion doit s'acquitter des droits de mutation à titre gratuit. Si d'autres pays imposent les plus-values latentes c'est bien souvent la contrepartie du fait que les droits de mutation sont inexistants ou très faibles. Formuler une telle proposition en dehors de toute refonte globale des principes de taxation pris dans leur ensemble relève d'une réflexion bien limitée mais pas d'une mission de conseil des plus hautes instances décisionnaires de notre pays. Pour mémoire, en 2012, lorsque s'est ouvert une période d'hyper taxation désordonnée, il avait été proposé au Gouvernement au titre de la lutte contre les schémas abusifs de prévoir une taxation des plus-values latentes ; ceci, alors même que la jurisprudence du Conseil d'Etat constante depuis plus de quatorze années avait toujours dissuadé l'administration de sanctionner des donations en les assujétissants à l'impôt sur le revenu. Mal conseillé, le Gouvernement avait tenté de stigmatiser les donations et si le législateur avait suivi comme un seul homme, le Conseil Constitutionnel a ramené le calme au moins sur ce sujet en censurant la Loi pour non-conformité à la Constitution. Espérons que l'on n'atteindra pas cette extrémité prochainement grâce à la « Note ».

La taxation des biens professionnels

Compte tenu de la sensibilité du sujet et particulièrement en période de crise nous nous abstiendrons de commenter le bien-fondé ou non du dispositif. On relèvera cependant les recommandations des auteurs qui suggèrent a minima de renforcer le contrôle fiscal sur les « Dutreil » pour lutter contre les abus.  L'Administration est certainement ravie d'apprendre qu'elle est suspectée de fermer les yeux et là encore les auteurs nous démontrent leur absence de maîtrise du sujet quand on sait le contentieux fourni et les échanges nombreux qui entourent ce sujet, notamment à l'occasion de la publication de la doctrine administrative. De même, ils semblent ignorer que la réduction d'impôt qu'ils déplorent ne s'applique que sous condition non seulement d'âge mais de transmission en pleine propriété. Ce qui illustre cependant le mieux notre critique est l'argument massue mis en avant par la « Note » : l'augmentation « forte » du nombre de pactes Dutreil (dixit plus de 2000 signatures annuelles) car c'est ignorer que pour qu'une transmission sous ce régime soit effective il est nécessaire, compte tenu des contraintes nombreuses et d'application rigoureuse, de multiplier les engagements signés pour qu'un seul puisse être utilisé. L'indicateur n'est donc probablement, voire certainement pas pertinent et encore une fois il s'agit de conseiller le Premier Ministre…

Les conseilleurs ne sont pas les payeurs ! L'idée de la taxation du flux successoral méritait sans doute mieux et l'on aurait apprécié que de savantes équations nous proposent un barème en lieu et place du tripatouillage de bases d'imposition pour lequel franchement Bercy n'a pas besoin de conseils.




Jérôme Chigard
Directeur de l'Ingénierie Patrimoniale
Rédigé le 18 janvier 2022