ACTUALITÉS & PRESSE

Chronique hebdomadaire 24/09/2021

Les habits neufs du Président Xi

Il n'y a pas si longtemps, la Chine était « the place to be », le pays incontournable où tout PDG se devait d'investir. Pensez, un pays d'un milliard et quelques de consommateurs avec une croissance supérieure à 6% ! Il n'y avait pas une société qui ne présentait fièrement, lors d'une quelconque conférence, un transparent flanqué d'un graphique montrant la progression spectaculaire de son activité chinoise. Aujourd'hui, la situation a changé. Lors d'une réunion à laquelle nous assistions il y a quelques jours, le gérant d'un grand fonds américain rassurait son audience : non, son fonds n'était pas exposé à la Chine, peut-être un peu indirectement, mais de manière limitée. Et ce n'était pas à l'ordre du jour d'investir là-bas, il y avait tellement mieux à faire sur les valeurs américaines… Cathy Wood, la puissante patronne de Ark Invest, une société de gestion spécialisée dans la technologie, annonçait également avoir réduit drastiquement son exposition au marché chinois. Et si Blackrock, le n°1 mondial de la gestion d'actifs, a décidé d'augmenter pour sa part son exposition à la Chine, cette décision a été vivement critiquée par George Soros, le célèbre financier, comme totalement irresponsable. Bref, la Chine ne fait plus consensus et inspire même une certaine méfiance. Cette méfiance s'est particulièrement accrue ces dernières semaines avec les décisions du pouvoir chinois de mettre au pas des pans entiers de l'économie : suppression de l'enseignement privé, contrôle accru des sociétés de technologies, interdiction de jeux vidéo, etc.

Nous ne reviendrons pas sur l'aspect géopolitique de cette méfiance, largement illustré dans la malheureuse affaire des sous-marins australiens. Sur le plan économique, on s'est aperçu qu'il n'était pas facile de gagner de l'argent en Chine. Comme le dit crûment un gérant de Hedge-fund cité par le Financial Times « on ne connait pas le but réel des entreprises chinoises : faire des profits ou plaire au gouvernement ? ». En ce qui concerne les entreprises étrangères qui veulent travailler en Chine, une chose est sûre, mieux vaut ne pas déplaire au gouvernement chinois.

On pourrait nous rétorquer que cette considération est valable dans tous les pays du monde. Les États-Unis de M. Trump n'ont pas pris de gants pour bloquer l'activité du groupe de téléphonie chinois Huawei et les Français ne sont pas les derniers à évoquer les intérêts supérieurs de la Nation, quand il s'agit de bloquer ou de favoriser tel ou tel projet industriel. Il y a tout de même une différence fondamentale entre la France, les États-Unis – les pays Occidentaux – et la Chine. En Occident, l'exécutif n'a pas le monopole du pouvoir. Il doit composer avec le législatif et le juridique. Une entreprise qui n'est pas satisfaite d'une décision gouvernementale peut la contester devant les tribunaux ; le corps législatif peut s'opposer aux désirs du gouvernement ; enfin le conseil constitutionnel (en France) ou la Cour Suprême (aux États-Unis) vérifie la conformité des lois qui sont votées avec la constitution. Et puis, même en France ou le culte du PDG n'a guère cours, les chefs d'entreprise ne disparaissent pas du paysage du jour au lendemain, comme cela est arrivé à Jack Ma, le patron du géant Alibaba, l'Amazon chinois, après avoir émis des propos jugés inconvenants pour le pouvoir chinois. 

La 2ème moitié du XXème siècle a vu s'affronter deux modèles d'économie : le marché, modèle décentralisé, et le communisme, économie centralisée. La chute du mur Berlin a consacré la victoire du premier au détriment du second.  Sous l'impulsion de Deng Xiaoping, la Chine s'est trouvée une 3ème voie à partir des années 90, le communisme de marché, si l'on peut dire. En gros, le Parti Communiste conserve le monopole du pouvoir, tandis que les Chinois sont libres de s'adonner aux joies de l'entreprenariat. Et la réussite fut au rendez-vous. Le PIB par personne (mesuré par la parité des pouvoir d'achat, source FMI) a été multiplié par 10 de 1990 à 2020, soit une croissance de 12% par an ! La Chine est aujourd'hui la 2ème puissance mondiale, et certains lui prédisent le 1er rang d'ici 2040. Si la cote d'amour de la Chine est discutable, elle suscite en tout cas une certaine admiration teintée de crainte. Il n'y a plus aucun risque dans un futur prévisible de voir la Chine livrée aux appétits des puissances occidentales et japonaise, comme ce fut le cas dans la première moitié du XXème siècle. Un article des Echos va même jusqu'à titrer : « La Chine est une fenêtre sur notre futur ». 

Comment expliquer alors que malgré cette réussite éclatante, le leader chinois Xi Jinping ait choisi de revenir vers un modèle économique plus centralisé et autoritaire ?  Il y a sans doute une part d'hubris, cette démesure que fustigeaient les Grecs, chez Xi. Tous les experts s'accordent à dire que celui-ci est le leader qui cumule le plus de pouvoir depuis Mao. Jusqu'ici, le Parti Communiste chinois avait pris l'habitude de changer d'équipe dirigeante tous les dix ans. Là, il semblerait que Xi se soit donné les moyens de conserver son poste au-delà de 2022, pour une période indéfinie. Quitte à avoir le pouvoir, autant le garder… Au-delà de cette explication sans doute simpliste, la Chine est peut-être victime elle aussi de certains défauts du capitalisme. « Le vice inhérent du capitalisme », disait Winston Churchill, « est la répartition inégale de ses bienfaits » (il ajoutait aussi que le vice inhérent du socialisme était la répartition égale de ses malheurs). Et c'est un fait : la Chine est des pays les plus inégalitaires au monde. La Chine est le pays au monde qui compte le plus de milliardaires, davantage que l'Inde et les États-Unis réunis. Avec la pandémie de Covid-19, la vie est devenue encore plus difficile pour la classe moyenne chinoise, déjà touchée par la hausse des prix du logement et de l'éducation, et obligée à de longues journées de travail pour faire face aux dépenses d'une société moderne. Il n'est pas impossible que l'exécutif chinois ait décidé de siffler la fin de la récréation, de peur que la situation ne devienne incontrôlable. 

Quelles qu'en soient les raisons, Xi Jinping semble avoir répondu à la phrase du gérant précité : le but réel des entreprises chinoises est de plaire au gouvernement. En d'autres termes, la Chine semble avoir donné un coup de barre à gauche et revient vers un modèle d'économie davantage centralisé. Cela dit, nous ne voudrions pas tirer de conclusions trop hâtives. Nous ne sommes pas des experts de la Chine, très loin de là. Et si le Président Xi est apparu récemment à la tribune du parti avec un costume Mao, il ne va pas forcément livrer la Chine à une nouvelle révolution culturelle. Il faut savoir que Xi, héritier d'un cadre du PCC de l'époque maoïste, avait été envoyé aux champs pour être « rééduqué », comme on disait à l'époque des Gardes Rouges. Il est donc très bien placé pour connaitre l'ampleur des dégâts qu'a pu causer le maoïsme à toute la Chine.  

Nous ne savons donc pas jusqu'où ira le coup de barre à gauche du Camarade Xi. Peut-être, qu'à l'image de Mao, éliminant le « gauchiste » Lin Piao et rappelant le pragmatique Deng pour réparer les dégâts causés par la révolution culturelle, Xi donnera d'ici quelques mois un coup de barre à droite, pour éliminer les éléments par trop gauchistes. En vérité, personne ne le sait. Il nous semble toutefois que si la tendance actuelle à la centralisation et à la main mise de Xi sur la vie politique et économique de la Chine se poursuit, il n'en sortirait pas grand-chose de positif.   

En effet, rares sont dans l'histoire les exemples d'autocratie ayant réussi, encore plus dans un contexte communiste. Nous n'allons pas discuter ici  des mérites comparés de Louis XIV, de Frédéric de Prusse ou de Kubilai Khan. Mais qu'il s'agisse de Franco, Mussolini, Salazar, Staline, Mugabe, Peron (la liste est longue), l'autocratie est rarement citée en modèle de réussite économique. Pourquoi ces échecs, pourquoi certains pays restent-ils à la traîne alors que d'autres connaissent des réussites éclatantes ? La réponse donnée par les économistes Daron Acemoglu et James A. Robinson dans leur livre « Why Nations Fail ? » tient en deux mots : les institutions. Des institutions inclusives, qui protègent les citoyens, qui garantissent la propriété privée, les contrats, où les gouvernements sont responsables de leurs actes ; ces institutions favorisent l'innovation, la prise de risque et la croissance. A contrario, les institutions que Acemoglu et Robinson appellent « extractives », où le droit de propriété n'est pas défendu, où l'exécutif concentre les décisions économiques et soumet les citoyens à son arbitraire, sont synonymes d'échec et de sous-développement. Quand un état dispose d'une rente (pétrolière, minière, touristique), que ses institutions sont faibles et qu'il est dirigé par un autocrate, c'est la catastrophe assurée. Les exemples sont suffisamment nombreux pour ne pas avoir besoin de les énumérer. Les institutions chinoises n'ont pas été suffisamment solides pour empêcher Mao par deux fois de faire sombrer la Chine dans le chaos et la misère : à la fin des années 50 avec le grand bond en avant et ses dizaines de millions de morts, au milieu des années 60 avec la Révolution Culturelle, symbole absolu de démence utopique. 

Ce que nous voyons se développer en Chine ressemble fort à un basculement des institutions vers le côté extractif. A la lumière des écrits de Acemoglu et de Robinson, nous serions donc enclins à penser que le virage néo-maoiste pris par la Chine sous l'impulsion de Xi Jinping, n'augure rien de bon pour l'économie chinoise. Mais cela fait plus de 30 ans que la Chine n'arrête pas de surprendre les commentateurs économiques, elle va peut-être continuer de le faire. 


Hugues de Montvalon
Gérant de portefeuille
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 24 septembre 2021

 

Les avis et opinions que ODDO BHF Banque Privée est susceptible d'émettre notamment sur les marchés et/ou les instruments financiers ne peuvent engager sa responsabilité. Ces informations sont données à titre purement indicatif et ne sauraient, en aucun cas, constituer une incitation à investir ou à conclure tel ou tel type de transaction.