ACTUALITÉS & PRESSE

Fiscalité 19/10/2021

Attrape-moi si tu peux !

L'examen du projet de Loi de finances pour 2022 est l'occasion pour le législateur d'étudier à nouveau des évolutions de la fiscalité des cryptoactifs issues des propositions d'amélioration soutenues par l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan) dans son rapport publié en juin dernier. Il n'est cependant pas aisé de saisir les subtilités en jeu même si la direction générale des propositions est de tendre vers une simplification !

Tentative d'explications

Rappelons que du point de vue du code monétaire et financier, il y a deux types de cryptoactifs : 

- Les jetons, qui désignent « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
- Les cryptomonnaies, correspondant à « toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Après une controverse ayant opposé l'administration et le Conseil d'Etat sur le traitement fiscal des gains de cession de ces actifs, le législateur est intervenu en 2019.

Pour mémoire, le Conseil d'État avait précisé les modalités d'imposition des gains résultant des cessions de « bitcoins » réalisés par les particuliers dans ces termes : « lorsque les gains ne résultent pas d'une activité habituelle, l'imposition relève en principe du régime des plus-values sur biens meubles prévu à l'article 150 UA du CGI ». Cela signifie que les gains sont imposés au taux proportionnel de 36.2% (prélèvements sociaux inclus) après application, le cas échéant, d'un abattement pour durée de détention alors que l'administration avait conclu en 2014 à une imposition au barème progressif ! 

En revanche, la haute juridiction avait confirmé que les gains de cessions intervenant dans le cadre d'une activité de « minage » (activité de création de cryptoactifs) relevaient quant à eux de la catégorie des Bénéfices Non Commerciaux, tandis que ceux tirés de la cession de cryptoactifs à titre habituel continuaient de relever de la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux. Ceci ne simplifiait pas les choses !

Estimant que ce régime était inadapté aux cessions de cryptoactifs en raison notamment du caractère particulièrement liquide et fongible de ces biens ainsi que de l'importance du nombre et de la complexité des opérations susceptibles d'intervenir dans un court laps de temps, le législateur, à l'initiative du Gouvernement, a modifié le régime fiscal des gains de cession de cryptoactifs réalisés à titre occasionnel en créant un dispositif spécifique. 

Ainsi, depuis le 1er janvier 2019, les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de cryptoactifs sont :

- exclues du régime des plus-values sur bien meuble (Art.150-UA du CGI) ;
- imposées au-delà d'un seuil de cession annuel de 305 euros au prélèvement forfaitaire unique (PFU) à un taux global de 30 % (12,8 % au titre de l'impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux) ;
- déterminées par différence entre le prix de cession et une fraction proportionnelle du prix global d'acquisition du portefeuille d'actifs numériques. Le portefeuille est ainsi considéré comme un tout à l'image du PEA. 

Sachant que :

- Les opérations d'échanges entre actifs numériques bénéficient d'un sursis d'imposition.
- Seules les opérations donnant lieu à une contre partie en espèces, en nature ou en service sont imposables.

Au-delà, la loi n'a apporté aucune précision sur ce qui permet de distinguer le caractère habituel ou occasionnel des cessions. A ce jour, l'administration fiscale se contente d'indiquer que ce critère doit être apprécié au cas par cas en tenant compte, notamment, des délais séparant les dates d'achat et de revente, du nombre de cryptoactifs vendus et des conditions de leur acquisition.

Ce faisant, des députés ont déposé des amendements pour rationaliser le cadre fiscal, soulignant la complexité et l'insécurité qui découlent de la situation actuelle et allant jusqu'à affirmer que de nombreuses personnes s'expatrient pour échapper à l'incertitude… ou peut-être plus exactement à l'impôt tout court.

Faisant un parallèle avec les opérations de bourse, les députés proposent par simplification une imposition dans la catégorie des Bénéfices Non Commerciaux des activités habituelles et non plus en Bénéfices Industriels et Commerciaux. En pratique, il serait créé un article 92-2-1°bis ainsi rédigé : 
« Les produits des opérations d'achat, de vente et d'échange d'actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d'opérations. »

Pour finir, un autre amendement propose de permettre aux particuliers cédant des actifs numériques de pouvoir opter pour une imposition au barème progressif en lieu et place du Prélèvement Forfaitaire Unique de 30%, à l'instar de ce qui se fait pour les revenus de capitaux mobiliers et les plus-values financières. Un « retour d'expérience » permet de constater que les plus modestes sont pénalisés par ce taux d'imposition. En effet, dans de nombreux cas, le barème progressif de l'impôt sur le revenu semble mieux adapté aux contribuables, précisent les auteurs de l'amendement.

Quittant la sphère des actifs « fongibles » pour celle des actifs non fongibles, les députés proposent, afin de leur appliquer un traitement fiscal spécifique, une définition légale du jeton « non-fongible » donnant naissance à une troisième catégorie légale de cryptoactifs : « tout bien incorporel et non fongible représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

Ils proposent ensuite que les plus-values réalisées par les contribuables français lors d'une cession à titre onéreux de jetons non-fongibles (Non Fongible Token) ne soient pas imposées selon le régime général des plus-values de cession d'actifs numériques mais en fonction de la nature de leur sous-jacent. Un gain issu de la cession d'un NFT immobilier relèverait du régime des plus-values immobilières !

Reste à savoir comment l'administration sera en mesure de contrôler ces revenus et ces opérations de manière industrielle en l'absence de tiers déclarant, même s'il existe déjà pour le contribuable, ce qui au regard de la technologie de la blockchain peut apparaître désuet, une obligation de déclarer les comptes d'actifs numériques détenus à l'étranger. Un remake d'attrape-moi si tu peux ?  



Jérôme Chigard
Directeur de l'Ingénierie Patrimoniale
Rédigé le 19 octobre 2021