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Fiscalité 27/09/2021

Droits de succession : faut-il repenser cet impôt ?

Le phénomène n'est pas nouveau : depuis le milieu du 20ème siècle et le début des années 2000, les écarts de richesse entre les plus fortunés et les plus modestes se sont considérablement accrus. La crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID 19 n'a fait qu'amplifier ces distorsions. Cette crise sanitaire se double d'une crise économique qui amène la plupart des Etats à se pencher sur les leviers de rétablissement de la dette publique, en particulier celui de la fiscalité.

C'est de ce double constat que s'inspirent un certain nombre d'études récentes (ou à venir), réalisées tant au niveau international que national. Parmi les plus récentes, deux se penchent en particulier sur le sujet des droits de succession, qui représentent un enjeu important, tant en matière de contribution aux recettes publiques qu'en matière de réduction des inégalités.

- Au niveau international : le rapport de l'OCDE sur « l'impôt sur les successions dans les pays de l'OCDE », qui sera rendu public le 15 octobre prochain ; 
- Au niveau national : le rapport sur « Les grands défis économiques » réalisé, à la demande de l'actuel Président de la République (en mai 2020) et remis le 20 juin dernier par la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole. Ce rapport comporte trois volets, dont un consacré aux inégalités, notamment celles relatives au patrimoine.

Force est de constater que ces deux rapports, qui visent une même finalité, empruntent aussi, pour partie, les mêmes remèdes.

Les constats : un impôt peu rentable pour les recettes publiques et facteur d'inégalités

Les inégalités de patrimoine, et plus largement celles des chances, se sont accentuées au cours des dernières décennies dans de nombreux pays. Les 10% les plus riches possèdent la moitié du patrimoine total en moyenne, et les ménages à revenus élevés épargnent davantage et dans des actifs à rentabilité généralement supérieure. Le rapport de l'OCDE met ainsi en avant la répartition inégale des successions entre les ménages, l'écart se creusant à la faveur de l'évolution à la hausse de la valeur de certains actifs, du vieillissement de la génération du baby-boom et des faibles taux de fertilité, favorisant ainsi la concentration des richesses. 

L'impôt de succession, bien qu'on lui concède d'engendrer moins de distorsions que d'autres impôts, n'en demeure pas moins facteur d'inégalités et s'avère moins productif en termes de rentrées fiscales. A cet égard, les recettes générées par les impôts de transmission (succession et donation) représentent une part très faible des recettes fiscales dans l'OCDE : environ 0,5% en moyenne… mais néanmoins plus du double en France, soit 1,2%. Certes, les recettes générées par cet impôt en France ne cessent d'augmenter : ces recettes ont été multipliées par 5 au cours des quatre dernières décennies. Et France Stratégie, institution publique, prévoit une forte augmentation des successions au cours des prochaines décennies, pour des raisons démographiques.

Selon le rapport de l'OCDE, ces inégalités et ce faible rendement s'expliquent, pour partie, par :

- Des régimes d'exonérations et d'abattements, parfois généreux, appliqués aux transmissions aux proches parents ou à certains actifs bénéficiant d'un régime fiscal préférentiel (notamment les résidences principales, les entreprises ou encore l'assurance vie). Ces mécanismes contribuent souvent à grever le potentiel de recettes fiscales, à créer des distorsions dans le choix des actifs, à tirer leurs prix vers le haut et à profiter aux ménages les plus aisés.
- Des donations du vivant fiscalement plus avantageuses que les successions (grâce, notamment, à des abattements qui se renouvellent dans le temps), portant sur des actifs liquides, sur lesquels investissent majoritairement les ménages aisés, et d'un montant supérieur à ce dont ces derniers ont besoin pour leur retraite.
- Des possibilités d'optimisation voire de fraude fiscale qui sont généralement l'apanage des familles fortunées.

Le rapport Girard-Tirole procède à un constat similaire en de nombreux points, s'agissant plus spécifiquement de la conception française des droits de succession. Il pointe notamment le fait que le législateur, face à l'impopularité de cet impôt, n'a pas modifié les taux d'imposition ou la progressivité du barème mais a créé des exonérations et des « possibilités d'évitement » (ex : possibilité de transmettre par donations étalées dans le temps, possibilité d'expatriation), un « mal bien français ». Ces mécanismes d'optimisation permettant d'alléger les droits favorisent les « ménages bien informés » et peuvent être facteur d'injustice et d'inégalités.

Les préconisations : de simples améliorations à un changement fondamental de conception des droits de succession 

Taxer mieux et non davantage.

Le rapport Girard-Tirole plaide pour une remise en cause du système actuel d'imposition en France mais, conscient des obstacles inhérents à une réforme d'ampleur (nécessitant une étude d'évaluation approfondie de ses coûts et de ses avantages), il formule également des aménagements à minima qui pourraient être mis en œuvre rapidement.

Le changement majeur de conception de la fiscalité actuelle des transmissions, qu'il juge « à courte vue », se fonde sur le constat que l'imposition est aujourd'hui davantage basée sur le patrimoine du défunt / donateur que sur celui que reçoit le bénéficiaire. Le système actuel ne tient pas compte du fait qu'une même personne peut bénéficier de transmissions provenant de plusieurs personnes (ex : à héritage égal, le taux d'imposition est plus faible si le bénéficiaire hérite de deux personnes). Le système fiscal favorise également, selon le rapport, les exonérations, comme l'abattement fiscal applicable aux donations qui se reconstitue tous les 15 ans, profitant aux ménages les plus aisés.

Il met en garde contre toute réforme qui, visant à faire bénéficier les héritiers plus tôt d'une transmission, aurait un effet régressif sur la fiscalité, alors même que le système fiscal français repose sur le principe de progressivité de l'impôt (sur les donations et successions). C'était le cas de la proposition de loi du 9 mars 2021 (non adoptée), déposée par des députés « Les Républicains », qui, dans l'objectif de relancer la consommation et de débloquer l'épargne des français, proposait, notamment, de faciliter les donations pour permettre une transmission plus rapide du patrimoine vers les plus jeunes, notamment en ramenant le délai de rappel fiscal de 15 ans à 2 ans. 

Le rapport préconise ainsi de fonder l'imposition des transmissions sur le bénéficiaire et à l'échelle d'une vie : ce nouveau système consisterait à imposer la totalité des transmissions (donations, successions, legs) reçues par un bénéficiaire, quelle qu'en soit la source, en retenant une assiette très large (incluant la plupart des actifs) et en appliquant un abattement global (qui pourrait être assez élevé). Ce système pourrait conserver des taux réduits en fonction du lien de parenté entre donateur et bénéficiaire, comme actuellement, mais également tenir compte de l'âge de ce dernier. L'application d'une assiette d'imposition très large induirait la limitation des cas d'exonération (totale ou partielle) s'appliquant à certains actifs.

Comme le souligne le rapport de l'OCDE, qui favorise également ce système d'imposition, une telle approche serait « particulièrement équitable et efficace ». Il n'en reste pas moins que sa mise en œuvre s'avèrerait délicate, de par sa complexité et son coût probable pour l'Administration. D'ailleurs peu de pays appliquent ce système d'imposition. On peut citer les Etats-Unis et, en Europe, le cas unique de l'Irlande. Les auteurs du rapport craignent aussi qu'il n'induise des mobilités géographiques des contribuables.

Accorder davantage d'importance au montant du patrimoine reçu par chaque bénéficiaire, comme le souligne également le rapport de l'OCDE, favorise l'objectif de promouvoir l'égalité des chances et d'assurer une plus grande répartition des successions, réduisant ainsi la concentration des richesses.

Mais une telle réforme impliquerait, comme le relève le rapport Girard-Tirole, des études d'évaluations (économiques, statistiques…) approfondies pour en déterminer les paramètres et les effets.

Ambitieux mais réaliste, le rapport préconise, de manière très surprenante tant celles-ci sont éloignées de la réflexion principale, d'autres mesures d'adaptation, plus ciblées, qui pourraient être retenues à défaut de choix politique et législatif conduisant à une réforme majeure. 

Il fustige les possibilités d'échapper à l'impôt qu'il juge trop nombreuses. Deux dispositifs sont particulièrement dans le viseur des auteurs du rapport : le « Pacte Dutreil » et l'assurance vie. 

Le « Pacte Dutreil » est un dispositif fiscal qui s'applique aux transmissions d'entreprise. Il prévoit une exonération substantielle (75%) de droits de succession ou de donation pour les bénéficiaires dès lors qu'un certain nombre de conditions sont respectées. Bien que sa légitimité soit reconnue quand il permet la continuité et la survie des PME familiales, cette  légitimité apparaît plus contestable, pour les auteurs du rapport, s'agissant des grandes entreprises, détenues par « des familles aisées ». Le rapport préconise donc l'application à cette exonération partielle d'un plafonnement. 

S'agissant de l'assurance vie, nul n'est besoin d'en rappeler les avantages en matière de transmission (abattement et taux d'imposition préférentiels). Le rapport estime que ceux-ci doivent être « réexaminés ». Le rapport de l'OCDE, qui pointe également le traitement fiscal de cette enveloppe,   se montre encore plus critique puisqu'il considère la justification de ce traitement fiscal avantageux (dans de nombreux pays) comme limitée au regard d'autres produits de placement. Aucune suggestion de réforme précise n'est avancée (diminution de l'abattement ? relèvement des taux ? alignement sur le régime fiscal des successions ?) et pour cause, comme le concède le rapport Girard-Tirole : l'assurance vie est un « sujet politiquement sensible » et un terrain miné sur lequel peu se sont jusqu'à présent risqués, du moins pour en modifier substantiellement la fiscalité. Ce qu'omettent de rappeler les auteurs du rapport, c'est que les capitaux décès sont déjà partiellement soumis à la CSG, la CRDS et autres prélèvements sociaux. L'exonération est bien loin d'être totale  !

A l'heure actuelle, et bien que les rapports commentés ici y invitent le législateur, il est bien difficile et sans doute prématuré de gager sur une réforme prochaine et profonde des droits de succession. Leur niveau en France est déjà élevé (ce qui la classe au deuxième rang des pays de l'OCDE), et, comme l'impôt sur la fortune, ils revêtent une dimension symbolique. La perception qu'ont une majorité de Français des droits de succession, presque unanimement impopulaires, procède de considérations éthiques contradictoires : si une majorité légitime la transmission par des parents à leurs proches d'un patrimoine qu'ils ont (le plus souvent) constitués par leur travail, sans que celle-ci ne soit (trop) taxée, une majorité aussi perçoit comme une injustice, contraire au principe de l'égalité des chances, les dotations très déséquilibrées de patrimoine entre les individus. 

L'idée d'un impôt économiquement profitable pour l'Etat et redistributif pour les citoyens, pour corriger les inégalités, n'est-il pas un vœu pieux voire quelque peu tronqué dans un monde où la concurrence fiscale fait rage et où les inégalités procèdent également de facteurs extra-économiques (âge, niveau de formation, état de santé etc.) ?

Ces réflexions démontrent au besoin que, plus que jamais, la politique fiscale doit répondre à un défi économique mais aussi sociétal. 


David Tavernier
Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 28 septembre 2021